À l'origine, il y avait un arbre déraciné, qui n'était pas vraiment un arbre. C'était moi… Très jeune encore, après maintes et maintes péripéties, je me retrouvais seule à Montréal. Seule avec la charge de mes trois enfants. Leur père avait préféré retourner dans notre pays d'origine plutôt que d'avoir à payer une pension. J'étais libérée d'une vie infernale mais j'étais seule, sans amis, sans appuis. Mes racines étaient devenues aériennes et cherchaient désespérément où s'accrocher. C'est dans un moment de désespérance que l'image d'un arbre déraciné m'est venue à l'esprit. J'écrivais alors :
J'ai trouvé ma réponse plusieurs années plus tard, en me promenant à la campagne : l'image de l'arbre déraciné, jusque là dans ma tête, se dresse devant moi, au beau milieu d'une clairière! Ce qui m'attire d'abord, ce sont les fleurs, blanches et légères. Elles enchantent le regard et parfument l'air du printemps. Mais elles ne sont pas sur un arbre. Non, cette merveille sort directement de la terre et les restes de l'arbre gît en fait à côté des fleurs. C'est un bout de tronc mort, sec et mangé par les vers. Seule une branche subsiste… Comme à bout de forces, elle s'est repliée vers la terre qui l'a accueillie, nourrie et protégée. L'arbre sans vie a confié sa branche à la terre qui a fait pousser de nouvelles racines qui donnent vie à un nouvel arbre. Même sans tronc, le petit arbre est bien vivant. Ses racines nourrissent maintenant les nouveaux bourgeons, les nouvelles fleurs. Et la vie, en reprenant son cours normal, me donne une grande leçon de confiance et d'espoir. De résilience.
Dans mon œuvre, l'arbre en devenir prend forme dans toute sa splendeur : il devient symbole de vie, de renaissance, de résilience. En même temps, le tronc mort coupe le chemin qui monte vers la forêt, l'inconnu. Il bloque l'esprit vital qui ne peut plus circuler librement. Il ramène tout à ma condition humaine en formant une croix avec le sentier que j'aurais dû fréquenter plus assidûment, celui de la spiritualité.
La partie morte de l'arbre représente mes préoccupations matérielles, mon éternel combat à m'occuper du quotidien. Le temps qui passe a émoussé son importance. La clairière qui se présente à moi m'invite au repos, à la contemplation et à l'abandon. L'arbre me dit : Poursuis ton chemin, ne te laisse plus distraire par les cycles de vie. Vis !
